Vigipirate a fêté ses 20 ans l’an dernier, en 2015. Vingt ans. Nous aurions pu souffler des bougies, faire une grande fête, mais non : rien. Et pour cause : 148 vies ont été enlevées par des terroristes en 2015.
Je pourrais dire « merci Vigipirate, car sans toi le nombre de victimes aurait pu être plus élevé ». Ou bien « je me sens rassuré de voir des militaires en armes un peu partout en France ». Mais non. Vraiment pas. Et voici pourquoi :
1/ Nous nous trompons de cible.
Je pleure chacune des victimes de ces attentats, y compris les rescapé(e)s, les familles et proches des victimes, et j’ai aussi souvent une pensée pour les témoins qui probablement mettrons des années à se remettre de ces événements. Ils font aussi partie des victimes de ces actes odieux, aveugles et symboliques.
Si l’objectif est de protéger les vies humaines, alors je crois que nous faisons fausse route, qu’il y a d’autres priorités.
Depuis 1972, il y a eu un peu moins de 500 décès liés au terrorisme sur le territoire Français (source : Global Terrorism Database). 500 décès en 44 ans. Chacune de ces victimes est une victime de trop, évidemment. Mais en 1 seule année en France, il y a entre 30 000 et 40 000 décès liés à des erreurs médicales, au bas mot. En 1 seule année en France, il y a plus de 3 300 morts par an dans les accidents de la route. En 1 seule année en France, il y a 73 000 décès liés au tabac. Pour ce dernier chiffre, nous pouvons nous dire qu’un fumeur choisit de fumer, et qu’une victime du terrorisme ne choisit rien. Vraiment ? Je pourrais aussi parler des victimes de l’alcool et bien d’autres encore.
Alors si nous devions continuer de dépenser 1 million d’Euros par jour (coût estimé de Vigipirate) pour assurer la sécurité des Français, je ne suis pas sûr qu’il faille attribuer ce budget à faire défiler des militaires en armes en France. Nous pourrions verser cette somme aux hôpitaux pour leur donner plus de moyens. Ou bien envoyer le GIGN chez les dirigeants des grandes firmes de tabac ? Ils/elles ont fait 100 millions de victimes au 20ème siècle (pour donner un repère, il y a eu 231 millions de victimes dans le monde dans les guerres au 20ème siècle)…
2/ Nous aidons les terroristes à propager la peur
La peur, la terreur sont des moyens pour les terroristes. Ils s’en servent pour atteindre leurs objectifs.
Alors à chaque fois que nous (collectivement) affichons un panneau, à chaque fois que nous mettons une barrière de protection, à chaque fois que nous diffusons un spot sonore rappelant la vigilance dans les espaces publics, à chaque fois que nous fermons une école aux parents, à chaque fois que nous organisons des exercices dans les crèches, écoles primaires, collèges, à chaque fois que nous des hommes avec des armes de guerre dans les lieux publics, nous contribuons à propager la peur dans les esprits de chacun. Mécaniquement. Quotidiennement. Minutieusement.
Tout ceci est amplifié par l’impact des médias qui décrivent, montrent, analysent chaque microseconde d’un acte abominable. Nous contribuons tous à cela. Chacun de nous amplifie le phénomène de peur, de terreur, ne serait-ce qu’en choisissant d’écouter, de lire, de regarder des médias qui propagent la peur.
Quelle est l’efficacité réelle en terme de sécurité des personnes d’une barrière vauban posée devant la porte d’une crèche ? D’une affiche noire et rouge placardée sur une porte ? D’un exercice « prévention terrorisme » dans une école ? Franchement, existe-t’il l’ombre d’une étude sur l’efficacité réelle de telles mesures ? Par contre, l’impact psychologique de tout cela sur chacun d’entre nous, y compris sur nos enfants depuis le plus jeune âge, est certain. Nous ne pouvons pas passer une seule journée sans voir un panneau, entendre ou voir des journaux d’information, croiser des gens en armes. La peur est là, et c’est nous tous, collectivement, qui en sommes responsables. Cette peur est objectivement démesurée par rapport à la menace réelle (cf paragraphe précédent), mais nous l’entretenons activement. Nous devenons un rouage de la machine à propager la terreur, un maillon de la chaine terroriste.
3/ Nous aidons les terroristes à atteindre leurs objectifs
La terreur n’est qu’un moyen. Les objectifs sont autres : nous pourrions parler du califat, mais au fond, ce sont des valeurs et des modes de vie qui sont en jeu. Violence, terreur, injustice, arbitraire, inégalité, domination, restriction des libertés, isolement et soumission des individus sont des attributs des groupes terroristes des dernières décennies. Cela constitue leur mode de fonctionnement, celui qu’ils imposent à leurs membres et à ceux qui subissent leur présence sur le long terme, en Irak, Afghanistan, Syrie ou ailleurs. Voilà ce qui est en jeu.
Vigipirate n’étant apparemment pas suffisant pour assurer notre sécurité ( 😉 ), l’Etat d’urgence a été décrété en France en Novembre 2015. Je ne peux que vous recommander la lecture d’un tout petit livre écrit par des des experts du droit public qui décrivent de manière très complète les enjeux et les effets de ce statut spécial en France (quelques exemples d’effets ici, ou bien là). Quand des militants écolos sont assignés à résidence sous couvert de l’état d’urgence sans possibilité de faire exercer leurs droits devant un tribunal, quand des citoyens sont délogés de chez eux par le RAID par erreur, quand des conversations privées (électroniques ou pas) sont enregistrées et conservées sans l’aval d’une autorité de justice, quand des rassemblements et manifestations sont interdits, quand des événements culturels sont annulés, alors nous contribuons à installer petit à petit les valeurs terroristes dans notre vie. Quand nous fermons une école aux parents, nous restreignons les libertés. Quand un vigile nous demande d’ouvrir notre sac à l’entrée d’un centre commercial, ou que nos e-mails sont systématiquement stockés pour être analysés, le respect de la vie privée recule.
Alors ils doivent bien rigoler, les terroristes. Un Etat dit « démocratique » qui propage leurs valeurs, qui impose à tout un peuple ce pour quoi ils luttent, ils n’en attendaient pas tant. A chaque fois que la liberté recule, le terroriste gagne. A chaque fois que l’injustice ou l’arbitraire frappe, le terroriste gagne. A chaque fois que la violence est utilisée, le terroriste gagne. A chaque fois que des divisions sont créées au sein d’un groupe de personnes ou d’un peuple entier, le terroriste gagne. Et nous contribuons à tout cela.
Alors quoi ?
Alors je n’ai pas peur. Je n’ai pas peur de vous, les terroristes, puisque j’ai 5 000 fois plus de chance de mourir suite à une erreur médicale en France. Je n’ai pas peur de vous, en tous cas 600 fois moins que de prendre ma voiture le matin.
Alors je refuse de véhiculer cette peur. J’enlèverai mon enfant de l’école le jour où l’exercice antiterroriste sera effectué ; mon fils aura bien le temps d’avoir peur, et il aura bien assez d’autres sujets à évacuer chez un(e) psy. L’alternative à la peur n’est pas la peur. L’alternative à la violence n’est pas la violence. L’alternative à l’arbitraire n’est pas l’arbitraire. Idem pour l’injustice, l’inégalité, la restriction des libertés. Aussi, je suis prêt à faire acte de désobéissance civile pour ne pas contribuer à véhiculer les valeurs des groupes terroristes. Et je suis prêt à aller devant un tribunal pour ça.
Alors j’écris cet article, juste pour dire que je ne suis pas d’accord avec Vigipirate et l’Etat d’urgence. Parce que j’ai le encore le droit de l’écrire, j’ai encore le droit de dire que je ne suis pas d’accord avec ces mesures nationales.
Alors je nous souhaite à tous, à toutes, d’avoir assez de force et de courage pour nous tourner vers la liberté, la tolérance, l’équité, la douceur, le dialogue, la confiance. C’est un boulot à plein temps, et un boulot pas facile 😉 !
Merci, ça fait du bien
Magnifique…